18 au 29 novembre 2024
80 h / 11 j
Marseille
Inscriptions closes
Chantier ouvert à 14 auteur.rice.s et acteur.rice.s professionnel.le.s
Auteurs et acteurs : le théâtre, art du présent et du collectif
Un trait d’union entre une tradition orale et une tradition écrite
L’écriture d’un·e auteur·rice est une improvisation.
L’improvisation d’un·e acteur·rice est une écriture.
Ce chantier s’adresse aux auteur·rice·s et aux acteur·rice·s qui ont envie de travailler ensemble sans l’intermédiaire d’un·e metteur·euse en scène, pour retrouver ce triangle central au théâtre : acteur·rice· – auteur·rice· – spectateur·rice·.
Les auteur·rice·s parlent souvent d’autres auteur·rice·s qui les ont inspiré·e·s, il·elle·s parlent moins souvent des acteur·rice·s qui leur ont fait découvrir des territoires inexplorés.
Écrire pour la scène, c’est écrire pour la voix humaine, et pour le public qui écoute.
De la même façon, rares sont les acteur·rice·s qui parlent des textes dramatiques comme les meilleurs directeur·rice·s d’acteurs qui soient, car ils portent en eux le silence, ainsi que les désirs et les indications pour leurs incarnations.
Ce chantier se propose d’être un échange artisanal entre auteur·rice·s et acteur·rice·s.
Il y a une magie dans l’acte de donner sa voix à un texte écrit.
Il y a une magie à écrire ce qui est dit.
Ce simple aller-retour entre oralité et écriture est source de découvertes et d’apprentissages, pour les auteur·rice·s comme pour les acteur·rice·s.
Dans son livre Dialogue avec mon jardinier, le peintre Henri Cueco tient un journal d’une période où il reste dans son atelier et peint ce qu’il a sous les yeux. Il reçoit chaque jour la visite de son voisin et ami jardinier :
" - Tu fais quoi, au juste ? Tu dessines de l’herbe ? Ça fait bien, c’est vrai, ça fait bien, dis donc, c’est pas des blagues. C’est là, devant, ce que tu regardes ? C’est pas bien beau à voir, comme ça, de l’herbe de tous les jours. Moi, j’aurais jamais eu l’idée…
C’est comme la photo : on croit, à voir comme ça, que ça va rien faire du tout, qu’y a rien à voir, et finalement on voit des choses qu’on n’a pas vues
C’est bien, ça fait bien, c’est plus beau qu’en vrai (…)
Tu fais un livre ?
- C’est une sorte de carnet. Je mets mes dessins, et je note nos conversations de la veille. Regarde. Sur la page que je dessine aujourd’hui, j’ai écrit la conversation d’hier à midi.
- C’est moi qui ai dit ça ?
- Hier, tu as dit : « C’est bien, ça fait bien, c’est plus beau qu’en vrai. »
- C’est bien vrai que c’est bien, que ça fait bien, que c’est plus beau qu’en vrai (…)
Je vais plus vite avec ma faux pour faucher le pré que toi avec tes crayons pour le dessiner."
Quand je voyageais à Java et Bali avec Kati Basset, ethnomusicologue, pour créer Le retour de Penazar à Bali, je lui faisais part de ma stupéfaction devant une culture transmise entièrement oralement. Elle me disait que l’écriture était très importante, mais que les manuscrits restaient cachés car on leur attribuait des pouvoirs magiques.
L’oralité est une façon très singulière de transmettre l’Histoire. Mythologies et religions étaient transmises oralement, inséparables du public et de la présence des acteurs. Le centre, ce n’était pas l’œuvre, c’était le corps vivant. La mémoire vivait de ces échanges incessants. Si le tissu de relations se déchirait, la mémoire disparaissait.
Ce travail, à mi-chemin entre l’oralité et l’écriture, demandera aux auteur·rice·s d’être prêt·e·s à modifier leurs textes, ou à en écrire de nouveaux, au jour le jour, et aux acteur·rice·s d’apprendre des textes qui se modifient au fur et à mesure, ou d’en apprendre de nouveaux, au jour le jour.
Cela demande, pour les auteur·rice·s comme pour les acteur·rice·s, un goût pour l’improvisation.
La mémoire, articulation fondamentale entre l’individuel et le collectif :
Il s’agira de créer des moments de scène mettant en jeu la mémoire, l’oubli, les rêves, les souvenirs intenses jamais parvenus à la conscience,
Soit à partir de son histoire personnelle, en écrivant des portraits : comment passer de l’intime au public. Comprendre les enjeux dramaturgiques.
Soit à partir de scènes écrites autour de la perte de mémoire (je suis dans ma maison et je ne connais plus les portes, je ne me souviens plus du prénom de la femme avec qui je vis depuis 60 ans, je n’ose pas lui demander, je veux dire quelque chose et le mot ne vient pas, …).
On verra si nous apercevons une histoire commune, si nous faisons mémoire collective : pas un grand récit immobile, mais une tapisserie changeante de mémoires.
Nous aborderons ce chantier sous trois angles : le jeu, l’écriture, et la dramaturgie.
Un temps sera consacré au travail d’acteur·rice : présence, focalisation de l’énergie, relation aux partenaires, au texte, et l’adresse directe au public. Il serait formidable que les auteur·rice·s participent à ce travail, par curiosité pour le travail de l’acteur·rice·
Un temps sera consacré à des échanges à deux, pour recueillir des souvenirs, puis travailler ces notes pour écrire un portrait. Pas d’enregistreur, seulement carnet ou ordinateur. Comment passer d’une histoire intime à une histoire adressée à la communauté.
Un temps sera consacré au travail au plateau des portraits et des scènes écrites par les auteur·rice·s sur la perte de mémoire.
Ce temps permettra aux auteur·rice·s de modifier leurs textes.
Enfin le travail se poursuivra par la composition dramatique de tous les textes, avec l’invention de liens possibles pour « faire un tout ».
Une séance ouverte au public permettra d’éprouver la relation directe avec le public, la parole directement adressée.
François Cervantes
Photo vignette chantier : © Melania Avanzato